La femme dans le mur II
L'homme s'est assis près d'elle sur une marche de l'escalier. La femme lève les yeux vers lui et sourit
-Si je vous dis je ne sais pas, vous allez croire que c'est une blague.
-Vous me faites le coup de l'amnésie?
-Non, je me souviens parfaitement de tout ce que je n'ai pas fait.
-Et de ce que vous avez fait ?
-Aussi. c'est ce que je vais faire, là, maintenant, que je ne sais pas.
-Et ce que vous allez faire déterminera qui vous êtes ?
-Je ne sais pas, vous savez les réponses à toutes ces questions...
Elle sourit encore, mouline d'un bras.
-Je m'en balance, c'est vous qui les posez, pas moi.
-Et quelles questions vous posez-vous ? demande l'homme sans se démonter.
-Je me demande quand j'aurai assez de courage pour faire ce que je dois.
-Et que devez-vous faire?
-Me lever, agir.
-Pfff, tout le monde se lève, agit, ce n'est pas ce qui fait qui vous êtes.
-On m'a toujours dit le contraire.
-Est-ce important ce qu'on vous a dit?
-Ca dépend qui, ça dépend quand.
-Vous vous souvenez de tout ?
-Non, juste de ce qui fait mal, de ce qui a fait du bien.
-Plaisir et douleur.
-Utile et inutile. Oui, Les deux.
Le silence entre eux s'installe un instant.
-Et vous, dit-elle en se détournant de lui comme si elle écoutait ailleurs.
-Moi? demande l'homme qui pose des questions.
-Oui, vous, pourquoi posez-vous des questions? Elle se lève et dépoussière son pantalon.
-Je l'ai toujours fait. Je crois que je ne sais pas faire autrement.
-Je comprends. (Elle se tourne vers lui). Les réponses n'ont aucune importance pour vous.
-Si. Elles me font aller plus loin.
-C'est sans fin alors?
-Comme le mur.
-Qui vous a dit que le mur était sans fin?
-Personne n'en a vu le bout. On me l'a dit.
Elle sourit et pose la main sur le bras de l'homme:
-Il ne faut pas croire tout ce qu'on raconte.
L'homme se redresse tout à fait.
-Est-ce que je peux venir avec vous ?
La femme le soupèse du regard.
-Non, vous ne pouvez pas.
-Qu’est-ce que je n’ai pas que vous, vous avez, hein, vous vous croyez meilleure que moi ? C’est ça ? L’homme s’interpose entre elle et le mur.
- Meilleur ? Encore faudrait-il que je vous goûte !
-Aaah ! Vous plaisantez même dans les pires moments…
-Oui, je crois bien que c’est ainsi que j’ai perdu mon âme. Je n’y peux rien. J’ai toujours aimé les bons mots. Autrefois, on appelait ça les mots d’esprit, une récréation bien utile, vous ne trouvez pas ?
-Je n’ai pas envie de plaisanter. Emmenez-moi. Je suis fort, je peux vous aider.
-M’aider ? Non, vous ne pouvez pas. Poussez-vous. Mon courage n’attend pas.
-J'insiste.
Elle le soupèse à nouveau du regard.
-Vous avez le vertige ?
-Non.
Elle sourit.
-C'est bien ce que je pensais, alors vous ne pouvez pas venir.
-Comment savez-vous quand vous devez y aller ?
-Si je vous dis que j’ai des voix dans ma tête, vous allez me prendre pour une folle. C’est pourtant la vérité. Je les écoute. Voilà tout.
-Que vous disent-elles ?
-Elles m’appellent, je réponds. Nous parlons.
-Toujours ?
-Non, pas toujours. Parfois de la musique me revient et je peux me reposer un peu, ne plus écouter. (Elle le pousse doucement, mais fermement) Laissez-moi passer maintenant.
Elle passe dans le mur. L’homme tente de la suivre. Il se cogne et ne peut passer.