CHAPTER 30 // la bille rouge
Phil Lockwood avait passé deux jours et deux nuits à recouper les informations des différents dossiers de cette drôle d’affaire. Une série de six meurtres perpétrés dans exactement les mêmes conditions, ce n’est pas courant. Dieu merci ! Lockwood n’avait eu que peu de cas de cet acabit depuis qu’il exerçait son dur métier. Il s’agissait presque toujours de meurtres à caractère sexuel ou psychotique.
Ici, quelques éléments pouvaient incliner à penser qu’il s’agissait de ce type de traque, car il s’agissait d’une traque, Phil en était intimement persuadé.
Ces types là, les six, étaient liés par quelque chose, ça crevait les yeux. Les coïncidences étaient trop nombreuses : ils naviguaient ou avaient caboté tous dans les eaux troubles de la finance immobilière, avaient grosso modo le même âge, et habitaient tous dans le même district.
A la lecture de leurs dossiers, Lockwood s’était rendu compte que certains des noms lui rappelaient quelque chose. Immédiatement, il avait mis sur le coup l’archiviste de son unité, et la découverte de celui-ci valait son pesant d’or.
Deux d’entre eux, O’Brien et un certain Patterson, Père Patterson qui plus est, avaient été impliqués dans une sombre affaire de pédophilie dans les années 90. On n’avait rien trouvé contre eux, et ils s’en étaient sortis sans dommage.
L’affaire était pourtant mal embringuée pour eux. Six enfants avaient disparu. C’est là que ça devenait intéressant. Ces gamins étaient de grands joueurs de bille, et le jour de leur disparition, ils devaient se retrouver pour une espèce de tournoi dont Patterson était l’instigateur.
On ne les avait jamais revus.
Six garçons d’une dizaine d’années.
Immédiatement, Lockwood avait fait le rapprochement avec SA bille.
Autre fait troublant : dans les rapports détaillant les objets retrouvés sur les différents cadavres, cinq d’entre eux avaient été retrouvés avec une bille dans la poche.
Lockwod avait illico retiré la petite bille rouge de son pardessus, et l’avait rangée sur une étagère de son bureau. Il l’avait calée à l’aide d’une capsule de bière de Jefferson, entre une petite voiture de police en métal, que ses filles lui avaient offerte pour le Noël dernier, et le cadre où lui souriait son épouse chérie.
Dommage, il commençait à s’y attacher à ce petit objet rond et froid qui roulait au fond de sa poche. Elle l’aidait à se concentrer sur cette affaire ô combien atypique. Il se défendait d’être fétichiste, mais là, il aurait volontiers fait exception.
Pourtant imaginer que cette bille était mêlée de prés ou de loin à la disparition de six enfants suffisait à la rendre presque maléfique. Dés lors, l’inspecteur avait considéré la boulette en verre de façon beaucoup plus circonspecte. Son plaisir à la tripoter en tous sens s’était aussitôt envolé.
Maintenant, il la considérait presque avec dégoût. Il l’aurait pour un peu remplacée par un chapelet, histoire de se purifier les doigts et l’âme, au cas où.
La convocation de Fraser et de son avocate était inévitable. Lockwood n’était pas obligé d’en référer directement à Lowenstein, mais il ne pouvait résister à saisir l’occasion de parler de cette affaire avec la célèbre avocate. Son avis professionnel l’intéressait, et un conseil avisé ne se refusait pas.
Bien sûr, il ne pouvait pas le lui demander ouvertement.
De plus, Lockwood avait raté un joker, une certaine madame Anita Espanes, troublante homonymie, avait servi d’alibi à O’Brien, à l’époque des disparitions d’enfants.
Il avait envoyé un de ses gars la chercher pour interrogatoire, mais la trop jolie épouse éplorée avait tout bonnement disparu.
Trop de coïncidences étranges dans cette histoire.
Les pièces étaient en place sur l’échiquier, la dame du camp ennemi venait de faire une sortie discrète. Lockwood ne se faisait pas trop d’illusion sur ses chances pour la retrouver.