CHAPTER 32 // Une valise en plus

Publié le par Semeuse

 

 

La sonnerie d’entrée du magasin retentit et Kyle entra. Le soleil commençait à réchauffer la devanture, mais ça n’allait pas durer longtemps, à cette époque de l’année, il allait bientôt passer de l’autre côté de l’immeuble d’en face, et la rue de ce côté-ci serait vite plongée dans l’ombre.

Kyle portait à la main un petit sac en papier dans lequel était emballée une boîte rectangulaire en carton. Il se débarrassa de son pardessus au portemanteau accroché dans le couloir et avança résolument à l'intérieur.

Arrivé devant la porte de la chambre où Connie avait passé la nuit, il frappa deux petits coups et attendit. Elle vint lui ouvrir la porte. Elle avait des cernes et Kyle pensa qu’elle n’avait peut-être pas très bien dormi. Malgré tout, son chignon lui allait plutôt bien et la tenue de taïchi également, même si ça la faisait paraître encore plus petite que d’habitude.

« -Je vous ai trouvé une paire de baskets » commença celui-ci en sortant la boîte du sac en papier. « Je pense qu’elles sont à votre taille.

-Je n’ai pas besoin de vous demander pourquoi vous faites tout ça, » lui dit la clocharde, « je sais que vous êtes un homme bon. J’en ai pas vu souvent, alors je les distingue des autres, ceux qui se foutent de tout ce qui n’est pas leur pomme.

-Je ne sais pas si je suis bon, Connie, je sais juste qu’il vous fallait des chaussures. » Kyle esquissa un sourire vite réprimé.

« - Essayez-les donc! Je peux les échanger si ça ne va pas !

Connie s’installa sur le bord du lit et enfila les chaussures.

-          « C’est ma pointure, et elles me vont parfaitement bien ! » dit Connie qui remuait comiquement ses orteils dans les baskets.

-          Vous avez déjeuné ? » enchaînait déjà Kyle qui ne voulait surtout pas s’étaler sur les remerciements.

-          « Non, non, pas encore » Connie eut un petit rire « Vous savez, il y a bien longtemps que je n’ai plus fait de café le matin… et avec des chaussures neuves, en plus !

-          Il faut reprendre cette bonne habitude, alors ! Venez, allons-y ! » Kyle lui emboîta le pas et la conduisit jusqu’à son réduit où vraisemblablement il passait la plupart de son temps.

 

Celle que Sam appelait affectueusement « la vieille squaw » regardait son bienfaiteur installer un copieux petit déjeuner sur deux plateaux posés contre l’évier.

Il eut tôt fait de leur faire griller quelques toasts pendant que des tranches de bacon grésillaient au fond d’une poêle. Le café passait goutte à goutte dans la machine.

Connie était fascinée. Etait-il possible que tout cela soit vrai ? Tout à coup, la précarité de sa situation reprit le dessus :

« Mes vêtements sont où ? » questionna-t-elle en essayant de maîtriser ce drôle de sentiment qui lui garrotait la gorge.

« -Vos vêtements ? Ils sont au sèche-linge. Je comprends que vous vouliez les récupérer, Connie, mais considérez que cette tenue de tai-chi vous appartient. Elle vous va très bien.

-Je suis gênée » répondit-elle après un petit temps de réflexion.

« Il ne faut pas, j’allais m’en séparer de toute façon. Je vais bientôt déménager. » continua Kyle, désinvolte.

-Ah bon ? Vous partez ? » Le monde s’écroulait encore une fois autour d’elle.

« -Oui, la route me manque, des vieux amis m’attendent, nous avons un projet qu’il nous tient très à cœur de réaliser. Je règle quelques affaires et je mets la clé sous la porte.

-Mais ? Le magasin ?

-Il est vendu. » Kyle lui tendait une tasse de café brûlant qu’elle ne pensa pas à saisir.

Il la posa sur le plateau, et entreprit d’y disposer deux tranches de bacon et des toasts.

« -Un peu de confiture de cassis ? »

Pour un peu, Connie aurait pu croire qu’il ne se rendait pas du tout compte de l’impact de ses dernières paroles sur elle.

Elle était sur le point de se demander s’il n’y avait pas, plutôt, une pointe d’amusement dans ses propos. S’était-elle trompée à ce point sur cet homme ? Ne l’avait-il relevée d’entre les morts que pour l’abandonner à son sort comme si rien ne s’était passé ? Cette nuit à l’abri de tout chez Kyle n’était-elle en somme qu’une nouvelle torture que le destin lui infligeait ? N’aurait-elle donc jamais fini d’expier son crime ?

« Alors, c’était donc pour ça que vous m’avez laissée venir ? » explosa-t-elle soudain.

« -Pour ça ? Qu’est-ce que vous voulez dire, Connie ? » demanda-t-il sans se départir de son flegme habituel.

« -Pour me relaisser tomber, pour un geste de pitié sans lendemain, pour vous débarrasser de moi, de cette amitié qui vous encombre, cette vieille Connie décrépie et inutile dont plus personne ne veut, qui ne sait plus où aller, qui n’est plus bonne que pour être bouffée par les puces, se saouler la gueule avec du mauvais vin et se faire tuer un de ces quat’ par un junkie en mal de sensation ! »

Elle s’était levée de son tabouret comme une chanteuse de cabaret qui entonne un refrain tragique et comme ça, toute petite et vêtue de noir, elle évoquait pour Kyle la Môme Piaf que son père aimait tant.

Kyle la regardait, impuissant, se tordre les mains.

« -Pour me faire payer encore et encore… » C’en était trop pour Connie et elle s’écroula en larmes sur le sol froid de la petite cuisine.

L’homme aux dreadlocks ne savait pas quoi faire, cette situation était nouvelle pour lui. Il avait déjà vu des hommes pleurer, mais des femmes, jamais. Sa propre femme, Jane, avait toujours été souriante et battante et il ne trouvait rien pour résoudre ce nouveau défi.

« Venez avec moi » dit-il doucement. «  Nous allons trouver une solution, relevez vous, ne restez pas comme ça », lui dit-il en l’aidant à se redresser.

Soudain, il ne sut pas comment, il se retrouva avec cette femme contre lui. Elle enfouissait son visage dans sa poitrine, ses cheveux poivre et sel s’étaient détachés, et il leva la main pour les caresser et la réconforter.

« C’est fini » disait-il « c’est fini, allons, voilà, ça va aller, ne vous en faites pas, ça va aller »

Il ne savait pas ce qui allait se passer avec Connie, mais pour la première fois depuis des années, il se sentait bien.

Ses bras se refermèrent plus fortement sur le corps si frêle de Connie. Les sanglots qu’elle avait su réfréner depuis de si longues années sortaient enfin, le goût de la joie retrouvée était bien salé.

Publié dans La Bille Bleue

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
<br /> une valise en plus, remplit d'amour et de tendresse...j'espère qu'ils pourront faire ce voyage à deux...<br /> <br /> <br />
Répondre
U
<br /> La chance qu'elle a! Elle gardera toujours cet instant là au fond du coeur...<br /> <br /> <br />
Répondre