CHAPTER 27 // Les perdus
Dan Fischer, comme beaucoup de ses concitoyens, était évangéliste, et au début, ce boulot lui donnait la nausée. Il n’était pas bien sûr alors d’être dans le droit chemin, mais heureusement son pasteur avait su le rassurer en lui disant que ce n’était sûrement pas un hasard si le Seigneur lui avait confié cette mission.
Cette fois, Fisher pouvait être content : il venait de se taper le visionnage de plus de soixante dvd tous plus pornographiques les uns que les autres. La plupart étaient à caractère pédophile et grâce au fichier morphologique, il avait retrouvé la trace d’une dizaine de mineurs disparus ces dernières années.
Depuis, Dan était complètement rasséréné et accomplissait son devoir avec zèle, zoomant sur des détails anatomiques susceptibles de révéler l’identité d’un des enfants perdus.
Deux équipes se relayaient pour visionner les DVD saisis et une attention de chaque instant était requise. Pas question de s’endormir ou de se détourner ne serait-ce qu’une minute.
Chaque enfant qui apparaissait était pris en photo et la photo immédiatement transmise au département de surveillance des mineurs.
La plupart des DVD saisis figuraient en plusieurs exemplaires et nul doute que ce Mc Kenzie entretenait un trafic juteux. Cadeaux pour ses amis ? Commerce sous le manteau ? L’enquête était en cours, les gars de Lockwood avaient même flairé l’existence d’un studio de montage.
Quelques films avaient été tournés dans l’appartement de Mc Kenzie, mais l’élément le plus troublant était un jeu de vieilles K7 vidéo où visiblement des enfants avaient été filmés à leur insu, notamment dans des vestiaires de salles de sport.
Anny, sa collègue était encore plus écœurée que lui. Elle avait deux fils de douze et quatorze ans, tous deux grands sportifs, et son cœur de mère s’était soulevé plus d’une fois au visionnage.
C’est elle qui était en train de rédiger le rapport pour Lockwood, et Fischer était bien certain qu’aucune goutte d’indulgence ne filtrerait pour ce salaud de Mc Kenzie. Il avait bien mérité son triste sort. Fischer se demandait même si poursuivre son meurtrier avait encore un sens. Mais on ne pouvait être sûr de rien. Le meurtrier ignorait peut-être tout des pratiques voyeuristes et sans aucun doute pédophiles de Mc Kenzie.
Après tout, ce mec n’était-il pas l’employeur de plusieurs centaines de personnes ? Son entreprise d’immobilier avait pignon sur rue et le service des fraudes fiscales, qui menait son enquête en parallèle, n’avait encore rien trouvé de déterminant qui aurait pu justifier un quelconque règlement de compte.
On pourrait dire que Mc Kenzie avait bien trompé son monde et qu’il menait en somme une espèce de double vie. Son concierge s’était montré étonnamment coopératif et les enquêteurs de Lockwood en avaient appris des vertes et des pas mûres sur les allées et venues du promoteur.
Ils avaient surtout pu dresser des portraits robots de plusieurs personnes qui fréquentaient assidûment la salle de projection très privée de l’ancien promoteur.
Le bruit de fond familier des touches du clavier venait de s’arrêter et Fisher entendit le ronronnement de l’imprimante qui se mettait à cracher à espaces réguliers les pages du rapport d’Anny.
Il referma la fenêtre du couloir devant laquelle il s’était accordé une petite pause, son café était froid et il le vida au lavabo. L’air de la nuit tombante envahissait le rez-de-chaussée où se trouvait la salle de visionnage, et il s’apprêtait à monter le rapport à Lockwood lorsque celui-ci débarqua dans le couloir.
« Bon boulot Dan ! s’écria-t-il en lui serrant chaleureusement l’épaule, les gars de la Brigade des Mineurs m’ont dit que vous en aviez retrouvé neuf dans les DVD ! Bonne pêche ! Leurs familles vont être bientôt mises au courant… Savoir que leurs enfants sont sans doute encore en vie sera un grand soulagement… Où est Anny ?
-Je suis là, répondit celle-ci en sortant du recoin où l’imprimante était installée.
-Un excellent travail, Anny, je sais que ce n’est pas facile tous les jours pour vous et pour votre seconde équipe ! Je vais lire votre rapport avec grand intérêt, cette affaire a l’air plus complexe qu’à première vue… D’autres meurtres du même acabit ont été perpétrés ces derniers temps… Il semblerait qu’on ait droit à une espèce de nettoyage à grande échelle !
-Ah bon ? D’autres meurtres ? et d’autres saisies aussi ? » demanda Dan un peu inquiet, qui ne souhaitait pas de sitôt se refaire une séance cinéma aussi hard.
« -Bonne question, ça, Dan, bonne question… Je vais lancer un mandat de perquisition chez la nouvelle victime ! » Dan regretta presque son excès de professionnalisme.
-Un autre homme ? » s’enquit Anny.
« -Oui, un autre homme, un portoricain, hier matin en pleine rue, juste en bas du domicile de la victime… Coups de couteaux devant et derrière, même scénario, pas de témoins. A croire qu’un fantôme règle ses comptes!
-En tout cas, les familles des enfants n’ont qu’à se féliciter qu’une ordure comme Mc Kenzie disparaisse de la circulation. » ne put s’empêcher de lancer Anny.
Lockwood attrapa la pile de documents qu’Anny venait d’imprimer et salua ses collègues. Un petit repos bien mérité leur ferait le plus grand bien.
La remarque de la jeune femme n’arrêtait pas de tourner dans la tête de Phil. Anny en avait déjà vu de toutes les couleurs et pour qu’elle soit remontée à ce point contre le propriétaire des DVD, il fallait que ce qu’elle avait vu soit particulièrement violent, ce qui n’était pas peu dire dans ce contexte.
Lockwood aurait pu envoyer Jefferson chercher le rapport d’Anny et de son équipe, mais il préférait s’en charger lui-même. Un contact fréquent avec chacun des membres de son commissariat était l’un des secrets de sa réussite.
Avoir le point de vue de ces hommes et ces femmes en contact avec les réalités brutes des enquêtes était primordial. Bien souvent, ces discussions donnaient un coup de projecteur sur un détail que Lockwood aurait pu trop vite mettre au panier.
Il n’était pas bon pour lui de se contenter des rapports édulcorés et des comptes rendus aseptisés de ses collaborateurs. Une saine réaction à chaud et Phil se sentait remis au cœur de l’action.
Deux heures plus tard, lorsqu’il eut fini de compulser les notes d’Anny ainsi qu’une partie de celles de Jefferson concernant les autres victimes, Lockwood rejoignait complètement le point de vue d’Anny.
Manhattan était nettoyée d’un réseau de malfrats qui s’enrichissait et précipitait sans aucun scrupule une jeunesse innocente dans la misère et l’indignité.
Ce qui gênait Lockwood, c’est que normalement, ça, nettoyer, c’était SON boulot.