Un mot de travers //// Partie 1
"- Il y a quelqu'un?"...
Une grande jeune femme blonde est entrée. Son regard bleu s'est posé sur chaque objet de l'atelier comme sur des amis, quand on veut s'assurer qu'ils sont bien tous là.
Une imposante bibliothèque abritait un bric à brac impressionnant. De nombreuses toiles retournées contre les murs encombraient l'atelier mal éclairé. Quelques rouleaux de lin attendaient d'être découpés et tendus.
Au fond, prés de la grande fenêtre, un chevalet invitait à la contemplation.
Le chevalet et surtout la toile qui séchait dessus attiraient particulièrement la jeune femme. Ses yeux allaient de la porte au fond de la pièce à la femme peinte qui criait, la bouche ouverte. Seuls quelques traits de son visage étaient ébauchés.
Derrière la jeune femme, un homme entra.
-"Brrr...., il ne fait pas chaud..."
Il s'ébroua comme un chien, faisant rouler sa colonne vertébrale des bras jusqu'au coccyx, et ôta sa casquette fourrée. Un crâne rond et protubérant apparut. Il enleva ses lunettes, sortit un mouchoir en papier de sa poche et entreprit d'enlever la buée qui s'y était déposée. Ses grosses mains de menuisier manipulaient les branches de lunette avec une incroyable délicatesse.
-Gilles arrive, il a oublié son sac dans la voiture!" dit l'homme au crâne rasé, d'une voix posée de bourgeois bien éduqué.
La jeune femme sourit, pas étonnée, mais attendrie. Elle devait être coutumière du fait que leur compagnon oubliait toujours quelque chose.
"- Elle n'est pas encore là, mais elle a dû nous entendre, puisque la porte était ouverte.
-Oh, tu sais, la porte est toujours ouverte ici!" rétorqua l'homme en remettant ses lunettes sur son nez.
Gilles entra:
"-Il n'y a personne?
-On ne sait pas" répliqua la jeune femme un peu agacée maintenant de ne pas savoir si oui ou non la maîtresse des lieux était réellement là.
"Ca ne fait rien, on va l'attendre !" Il frotta les pieds sur un grand paillasson et entra résolument dans la pièce, se dirigeant tout droit vers le chevalet.
"-Elle a bien avancé, vous avez vu ?"dit-il en dégageant une longue brosse engluée dans la pâte fraîche sur une grande palette ancienne en bois.
-Oui, c'est impressionnant...ajouta l'autre homme en traversant la pièce à son tour.
-Elle ne t'en avait pas parlé Sergei?
-Si si, répondit l'homme aux manières élégantes, "mais je ne m'attendais pas à cette fluidité des couleurs...Tout est en place!"..."Ah, je crois que je l'entends".
Les deux autres aussi avaient entendu le bruit des pas dans l'escalier et bientôt une femme plutôt âgée, aux longs cheveux grisonnants coiffés en nattes apparut, tenant à chaque main une bouteille de cidre, elle repoussa la porte du pied. Elle leur sourit:
"-Ah! Il me semblait bien que j'avais entendu une voiture! Laïka n'a pas aboyé...Elle doit encore être en vadrouille! Comment allez-vous? pas trop froid?"
Gilles s'était avancé vers la dame et après avoir déposé un baiser sur sa joue, lui prit les bouteilles des mains. Elle l'embrassa chaleureusement, prenant son visage au creux de ses deux mains. La gauche présentait de profondes cicatrices.
"-Bonjour belle Inès", dit-elle en s'avançant vers la jeune femme pour la serrer dans ses bras...
Elle se retourna ensuite vers l'homme aux grosses mains.
"-Sergei, vous êtes venu! Comme je suis heureuse!"
L'homme chauve fortement charpenté la prit à son tour contre lui.
"Moi aussi, dit-il, moi aussi!"
"-Comment vont les enfants?" demanda la vieille femme...
"-Très bien, je vous remercie, très bien, ils vous embrassent également! Nadia aussi, elle est avec eux. Tout va bien, tout va bien...Et vous? ces genoux, ça va un peu mieux?
-Je ne me plains pas, grâce à Laïka je marche, parfois même je trottine! mais je crois que nous n'irons plus à la pêche à la mouche, Sergei, ça restera désormais dans la caisse aux souvenirs!
-Vous viendrez peindre alors, plus d'excuse! Je porterai le chevalet!
-Oh, avec grand plaisir, mais il faudra attendre quelques mois, si le printemps revient..." finit la dame aux cheveux gris, en baissant la voix.
-Il reviendra" s'exclama Inès, "il reviendra pour toi Magda, n'en doute pas!.
-Si on relançait un peu le feu!" s'écria Gilles pour faire diversion, sentant que l'émotion allait prendre le dessus.
"-J'ai mis des bûches à sécher sous l'auvent, Gilles, je te laisse y aller, Inès et moi allons servir le cidre. Il sort de la cave!
-Espérons qu'il ne va pas exploser comme la dernière fois! " lança Inès en partant d'un éclat de rire un peu rauque.
-Oh oui! Qu'est ce qu'on a ri! Mais on n'a pas pu remplir un seul verre!" répondit Magda en riant elle aussi.
Au moment où Gilles ouvrait la porte d'entrée, un magnifique lévrier s'engouffra dans l'ouverture, suivi de près d'un petit chat roux.
"Laïka! Tu es trempée!" s'écria la vieille dame, "et toi Toto, où es-tu encore allé traîner?"
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